Deux femmes nues, deux icônes incontestées, sont réunies pour la première fois, au Palais de Doges de Venise, où vous pouvez aller les admirer dans une confrontation qui est un événement exceptionnel, inédit, superbe dans le monde de l’art.
« Olympia » de Manet (1863) et « La Vénus d’Ubin » de Titien (vers 1538) © Photo Nicolas Krief
Nous vous avions déjà annoncé, il y a quelques jours, l’exposition Manet. Ritorno a Venezia qui a ouvert ses portes le 24 avril dans le Palais Ducal de la cité lagunaire. La peinture de Manet n’a été que peu montrée en Italie de façon significative, et jamais à Venise. Cette exposition vient ainsi combler une lacune en revenant sur les sources italiennes de l’artiste, sur l’impact artistique de ses voyages dans la péninsule et sur sa volonté constante de se confronter aux maîtres transalpins.
Comme nous l’avions expliqué dans notre précédent article, l’exposition vise également à comprendre les raisons et les effets du « retour » de Manet à Venise en 1874, ville qu’il avait découverte vingt ans plus tôt.
Petit succès dans les premiers jours.
Nous pensions trouver une foule immense et devoir faire la queue longtemps avant de pouvoir accéder aux trésors de l’exposition. Quelle ne fut pas notre surprise de nous retrouver quasiment seuls dans les salles, alors que nous étions dans les premiers jours d’un évènement artistique majeur. Décidément, les touristes ne vont pas à Venise pour s’y cultiver, en voilà encore une preuve.
Comme toujours au Palazzo Ducale, l’exposition est « No Foto », et le peu de visiteurs rends l’exploit impossible, nous avions deux surveillants chacun autour de nous. Nous nous sommes donc concentrés sur notre visite, dont le parcours est fort bien pensé. Les illustrations de notre article nous ont donc été aimablement et généreusement fournies par le service de presse du Musée d’Orsay que nous remercions pour son aide.
Sans être une rétrospective classique, Manet. Ritorno a Venezia permet donc d’envisager aussi bien les débuts de l’œuvre que ses développements, sans jamais perdre de vue son ancrage italien. Elle fait ainsi apparaître un aspect peu connu et mal compris de l’art de Manet, trop souvent réduit à son influence espagnole.
L’exposition, dans les appartements du doge, est organisée par la Fondation des musées de la ville de Venise et le musée d’Orsay. Au total, 80 œuvres sont montrées dans cette exposition, 35 tableaux de Manet ont accompagné Olympia au Palais des Doges, ainsi qu’une vingtaine de dessins. Lola de Valence, Le balcon, Le bal masqué, Le portrait d’Emile Zola, Le fifre… Tous sont mis en parallèle avec les peintures de Carpaccio, Guardi, Lotto et autres célébrités de l’art, pour monter que les influences italiennes de Manet sont bien réelles.
Les deux vedettes de l’exposition.
Mais 78 de ces œuvres sont comme éclipsées par la provocante Olympia de Manet peinte en 1863, qui se confronte pour la première fois à son modèle, la sensuelle Venus d’Urbino du Titien, peinte 300 ans plus tôt.
Déjà, du point de vue de l’histoire de ces œuvres, et du génie de diplomatie qu’il a fallu pour les réunir cette exposition est un succès.
Même Mario Monti, Président du Conseil italien, et François Hollande, Président de la République ont été obligés de s’impliquer à titre personnel.
Car les belles ont pris l’habitude de ne point bouger.
La Vénus d’Urbino, peinte en 1538 par Titien, est conservée aux Offices à Florence et elle bouge très rarement.
« La Vénus est sortie une fois d’Italie, a déclaré à l’Agence France Presse Guy Cogeval, président du Musée d’Orsay. Mais quand elle est allée à Tokyo, en 2008, cela a fait un tel scandale qu’on a cessé ensuite tout prêt. » À Florence, au Musée des Offices, où le chef-d’œuvre exécuté en 1538 est conservé, le directeur Antonio Natali s’était violemment opposé à ce départ décidé par son gouvernement. L’œuvre était beaucoup trop fragile, assurait-il. Quelque trois cents intellectuels et artistes italiens, y compris le cinéaste Franco Zeffirelli, avaient relayé la plainte, signé une lettre de protestation. Un sénateur s’était même enchaîné aux portes des Offices. En vain.
« Depuis, le principe édicté était que la Vénus ne bouge pas. Il a fallu convaincre Antonio Natali. Cette fois, le déplacement n’était que de trois cents kilomètres. Surtout, la présenter à Venise avait un sens puisque c’est dans cette ville que Titien a peint », souligne encore Guy Cogeval.
Guy Cogeval, qui tenait absolument à cette confrontation inédite, a demandé l’autorisation du président de la République François Hollande pour faire sortir pour la première fois de France l’Olympia de Manet. Cette peinture n’a jamais quitté la capitale depuis qu’elle a été offerte à l’État en 1890 par souscription publique à l’initiative de Claude Monet.
« À titre exceptionnel, et pour la première fois, j’ai demandé le consentement du président de la République pour prêter l’Olympia qui appartient au patrimoine de la France, J’avais déjà l’accord de la ministre de la Culture, mais j’ai voulu écrire également au président de la République, qui m’a donné une réponse positive. »
Un voyage de tous les dangers pour l’œuvre mythique de Manet.
Le transport des œuvres, par camion et par bateau fut également une grande aventure pour les responsables du Musée d’Orsay.
Le choc de la comparaison
La confrontation entre l’Olympia et La Vénus d’Urbain est un choc visuel sans pareil. Il faut savoir que Le Titien peint la Venus en 1538. C’est probablement Angela del Moro, une courtisane, qui a servie de modèle, nue, allongée sur son lit, lascive, les yeux en amande, la chevelure bouclée, la peau laiteuse. Elle cache son sexe de sa main gauche. A ses côtés dort un chien – signe de la fidélité – et à l’arrière du tableau, deux servantes cherchent dans un coffre une robe pour vêtir la belle. Le tableau, dit-on, a été commandé par Guidobaldo della Rovere, fils de Francesco Maria della Rovere, duc d’Urbain, pour l’accrocher dans sa chambre de jeune marié et stimuler les ardeurs de sa nouvelle épouse.
Edouard Manet a vu La Vénus d’Urbain à Florence en 1857. Il en fait une copie et de retour à Paris, il va se nourrir de ce tableau mythologique pour le moderniser, l’adapter à son temps. Olympia, peinte en 1863, représente une prostituée : Victorine Meurent. Elle est étendue sur son lit. Fière, elle nous nargue du regard. Elle aussi a la main gauche appuyée sur son sexe. À ses côtés, un chat noir à la queue bien dressée, qui représente toujours le mal en ce temps-là. A l’arrière, une servante noire vient lui porter un bouquet de fleurs, sans doute offert par l’un de ses amants et protecteurs.
A droite, la belle courtisane semble vous dire « Vene qui, amore… » et tout dans son attitude est une invitation à aller la rejoindre.
A gauche, la somptueuse prostituée avec son « je ne baise plus » vous tance « N’y penses même pas en rêve ! » avec cet air froid et hautain des demi mondaines parisiennes du XIXème siècle. .
Voir tous ces Manet et les œuvres des maîtres italiens qui les ont inspirées, dans les appartements privés des Doges, est vraiment une chose inoubliable. Vous avez seulement jusqu’au 18 août pour vivre comme nous cette expérience.
« Manet. Retour à Venise »
Palais des Doges de Venise
du 24 avril au 18 août 2013
Informations et réservations 041 8520154
Horaires
Tous les jours de 9.00 à 19.00
Vendredi et samedi de 9.00 à 20.00
ultime accès consenti une heure avant la fermeture
Réservations en ligne
Les photographies qui illustrent cet articles ont été réalisées par Nicolas Krief et nous ont été aimablement fournies par le service de presse avec l’aimable autorisation du Musée d’Orsay.