Le respect de Venise

Ce soir, pour fêter notre arrivée, nous avions invité quelques ami-e-s pour un petit brindisi e pizze au fond de notre petit jardin vénitien. Pour cela, nous avions laissé entrouverte la porte qui donne sur la calle.  Quelle ne fut pas notre surprise de voir débouler, tout à coup, un couple de vieux, appareil photo en embuscade, qui commencèrent à mitrailler notre corte et notre giardinetto, sans rien nous demander, puis allaient repartir, sans même nous avoir adressé la parole !

L’arrivée de Giancarlo, qui comprit immédiatement la situation, leur barra le chemin du replis stratégique et salvateur. Les hommes présents s’étaient déjà rués à la poursuite des mécréants. Le couple étant français, c’est Klod qui mena l’interrogatoire. Ils « savaient la présence d’un puits et de patères dans cette corte » mais « n’avaient jamais réussi à la faire« … Nous leur avons expliqué que c’est un endroit privé, et qu’avant de faire des photos, ils devraient, au moins, solliciter l’autorisation d’un représentant du condomitun. Rien n’y fit, et ce n’est que lorsque l’un de nous commença à composer le numéro de la Policia que l’homme, résigné et furieux, commença a effacer les photos volées de notre jardin.

Une fois les intrus disparus, sans leur butin, la discussion avec nos ami-e-s est, naturellement, venue sur le sujet : le sans gêne des touristes par rapport aux habitants de Venise.

Tous, sans exception, vivent quotidiennement ce nouveau mal que représente l’intrusion des curieux dans la sphère privée des vénitiens.

Il existe un savant équilibre entre « in casa mia nn entra alcuno » et « avanti tutti in casa mia e piedi sopra la tavola » nous rappelle Luca Rizzi. Les jardins et cortes secrètes de Venise s’ouvriront à vous si vous respectez les vénitiens et leur vie privée, au lieu de rentrer chez eux et de mettre les pieds sur la table.

Venezia e’ una risorsa rara e « da maneggiare con cura »

Venise est une denrée rare que l’on doit consommer avec un grand soin, et le plus grand des respects. Respect pour ces milliers d’années à construire un chef-d’œuvre unique au monde. Respect aussi pour la ténacité des vénitiens qui ont inventé ce mode vie qui leur est propre et que la mondialisation et le tourisme de masse ne doivent pas faire disparaître.

Au petit jeu du viol de la vie privée des vénitiens, français et belges sont les plus forts, les plus hardis, et les plus sans-gêne.

Nous avons expliqué à nos amis, abasourdis d’apprendre cela, ce qui peut-être une des clefs de cette course à l’objet artistique, y compris dans les lieux les plus secrets, et forcément privés, de notre belle cité lagunaire.

Exemple d’une patère au Saint-Georges dans un jardin privé, dont l’auteur donne même l’adresse exacte où aller la surprendre, alors que le saint homme et ses voisins auraient dû rester en paix dans leur jardin, à l’abri de la curiosité malsaine des vampires et des voleurs…

Il existe des sites, des forums, tous francophones, qui se sont fait spécialistes du plus grand nombre de puits, de lions ou de patères, y compris dans des espaces privés de Venise. Certains, d’une diabolique précision, sont même équipés de plans interactifs, qui donnent au mètre près, le lieu exact où se cache l’objet convoité. Tout juste si on ne vous donne pas le code pour forcer la porte si par cas elle était fermée. Cela crée une émulation, car chacun, par la suite, veut avoir SA photo de l’objet, et en trouver d’autres, encore plus secrets, pour dépasser les autres dans leur quête de l’absolu. On trouve ainsi des sites qui proposent : « Voyagez parmi les 4000 photos de son plan interactif. Apprivoisez ses monuments, ses 773 puits, ses lions… et ses 361 « Capitelli »

Déjà, prendre des photos dans un lieu privé, sans en avoir reçu l’autorisation préalable est un manque certain de savoir vivre. Publier cette photo, toujours sans autorisation, est un délit. Inciter les visiteurs du monde entier à en faire autant, en permettant d’identifier avec facilité la localisation de la photo est un crime et une atteinte aux droits de la vie privée.

Exemple d’un plan « interactif » qui permet de localiser avec une redoutable précision des œuvres architecturales appartenant à la sphère privée.

Que diriez-vous si on publiait des photos de votre chambre à coucher en donnant au monde entier la solution pour y aller dormir gratuitement, sans votre consentement ?

Décrire et publier des photos des monuments historiques, en les localisant avec précision est une chose honorable.

La publication de photos appartenant à la sphère privée, doit avoir obtenu le consentement préalable des propriétaires ou des occupants du lieu. Et dans tous les cas, leur localisation doit rester secrète. C’est cette règle que nous avons toujours respectée dans notre blog, c’est pour cette raison que souvent, nous ne vous expliquons pas, précisément, où nous avons réalisé nos reportages. Ou bien, avec l’accord des occupants, nous précisons le caractère privé du lieu.

Les vénitiens avec qui nous avons évoqués ce problème sont de plus en plus révoltés. Il a été décidé d’établir une liste noire des persona non grata, avec trombinoscope, pour protéger nos maisons de ces vampires qui favorisent intrusions, vols et dégradations diverses dans nos maisons. Des poursuites seront désormais systématiquement décidées lorsque nous trouverons publiées des photos de nos propriétés privées, sans notre accord.

6 Commentaires (+ vous participez ?)

  1. duplantier
    Juil 16, 2012 @ 08:41:12

    Ah, que je suis désolée de voir de tel comportement ! et en plus par un Français ! cela me m’attriste beaucoup. Et je comprends bien votre colère devant cette violation de votre vie privé. Mais, je vous en prie, dîtes vous que tous les français ne sont pas comme cela !

  2. Jean-Yves Erhel
    Juil 16, 2012 @ 09:01:17

    Vous avez mille fois raison de vous indigner contre ces intrusions dans la sphère privée. Malheureusement, notre époque est ainsi: ignorance généralisée à jet continu (y compris ignorance des règles élémentaires du savoir-vivre):on finirait par croire que c’est nous qui ne savons plus vivre!!!

  3. Bellot
    Juil 16, 2012 @ 12:30:07

    Quel sans gêne ! On a honte de nos compatriotes .S’ils avaient eu la politesse de demander l’autorisation ….

  4. Lorenzo
    Juil 16, 2012 @ 13:01:32

    Chers amis,
    vous connaissez mon incessant combat depuis 2005 sur le net, mais bien plus ancien par ma plume et les associations auxquelles je participe tant en France qu’en Italie. Tramezzinimag se fait souvent l’écho des lourdes problématiques qui se sont emparées du paradisiaque univers vénitien. Fou de Venise depuis ma plus tendre enfance, je me désole comme vous, et bon nombre de nos lecteurs communs, du sans-gêne des touristes le plus souvent français ou belges. C’était déjà un sujet de conversation dans les années 80 à la table du consul général au Palais Clari. Cependant, je ne puis souscrire entièrement à vos propos.
    L’une des difficultés majeures pour assurer la sauvegarde de Venise est bien cette invasion de plus en plus lourde et massive de touristes pendulaires qui démultiplie les incidents comme celui que vous citez et dont vous avez été témoins et « victimes ». Mais doit-on pour autant dresser des grilles électrifiées et monter des barbelés pour préserver la « privacy » des vénitiens ? Vivre dans un gigantesque musée à ciel ouvert contraint à certaines difficultés.
    Vous avez tout à fait raison d’insister sur le fait qu’un peu de politesse, – une élémentaire courtoisie- permettrait de satisfaire la curiosité des uns et le désir de vivre en paix des autres. C’est d’éducation dont il s’agit et la Municipalité Cacciari avait travaillé à l’élaboration d’une plaquette à l’usage de ces touristes férus d’art et de rareté. Mais on ne peut mettre un policier derrière chaque photographe. C’est à nous, avec les médias d’aujourd’hui, d’asséner en permanence le message d’appel au respect.
    Ceci étant posé, je ne vous suis pas dans votre critique acerbe des sites francophones tenus par d’authentiques amoureux de Venise, tous mus depuis des années par un seul et même souci – comme vous et moi – de la sauvegarde et de la protection de Venise. Ils ont le soutien de Tramezzinimag. Parmi eux, beaucoup agissent dans des organisations qui contribuent à la sauvegarde de Venise d’une manière active, par des actions de restauration notamment.
    Ne nous trompons pas d’adversaires : l’ennemi ce n’est pas celui ou celle qui travaille depuis des années à la mise en ligne d’une carte interactive des puits et des sculptures de la ville – outil très utile aux chercheurs et dont la fiabilité est désormais reconnue jusque dans les milieux universitaires vénitiens, ni dans ces sites qui organisent des safaris photos à thème, renforçant la connaissance de la Venise mineure et l’amour de leurs adeptes pour la Sérénissime. L’ennemi ce sont les voyagistes, les croisiéristes, les journalistes mal informés qui renvoient en permanence sur toutes les chaînes de télévision, tous les magazines et les journaux, les mêmes clichés et encouragent l’invasion, cette invasion qui ne rapporte pas un sou à la ville et fait fuir les vénitiens.
    J’avoue avoir vécu nombre de fois le genre d’intrusion dont vous parlez. Sauf à de rares exceptions – votre exemple en fait partie – cela s’est souvent terminé par un verre partagé pour atténuer les effets de la confusion des intrus, leurs excuses et de jolies photos très souvent reçues quelques jours plus tard par la poste ou par mail.
    J’explique toujours à ceux qui me demandent des conseils avant de se rendre à Venise – cela va dans votre sens – qu’il suffit le plus souvent de sonner à la porte, même ouverte, d’expliquer sa requête, pour voir le portail s’ouvrir en grand devant un des heureux habitants des lieux qui se fera un plaisir de faire visiter les lieux. La massification du tourisme au quotidien rend la démarche parfois pesante et les vénitiens ne sont pas à blâmer qui refusent désormais de répondre aux demandes même poliment exprimées. On ne peut que les comprendre. Les plans intercatifs et les banques d’image de plus en plus nombreuses sur internet deviennent ainsi une consolation. D’où le mérite de ces inventaires selon moi.
    Cordialement,
    Lorenzo

  5. oliaiklod
    Juil 29, 2012 @ 09:33:52

    Avec le recul, et une fois rentrés en France, je dois reconnaître que tu as raison, Lorenzo, mais tout de même… ce soir-là, mes amis et nous étions furieux. Nous en avons même reparlés lorsque nous sommes « repassé » par Venise, pour fêter notre anniversaire de mariage…

  6. Rétrolien: Quand disparaît le patrimoine artistique de Venise « Olia i Klod

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