Mort à Venise de Luchino Visconti

Scénario : Luchino Visconti et Nicola Badalucco, d’après le roman de Thomas Mann
Photographie : Pasquale De Santis
Décor : Fernando Scarfiotti
Musique : Gustav Malher

Avec : Dirk Bogarde (Gustav von Aschenbach), Silvana Mangano (la mère de Tadzio), Björn Andressen (Tadzio), Marisa Berenson (Frau von Aschenbach), Romolo Valli (le directeur de l’hôtel), Nora Ricci (la gouvernante)

Dans ce chef-d’œuvre réalisé en 1971, un vieux compositeur allemand malade, Gustav von Aschenbach (admirable Dirk Bogarde) s’éprend, dans la Venise du début du siècle, d’un jeune adolescent polonais, Tadzio, représentant pour lui une incarnation de la perfection, de la beauté pure. Visconti a trouvé dans la nouvelle de Thomas Mann (La Mort à Venise, 1912) tout ce qui constituait ses racines intellectuelles (Goethe, Nietzsche, Mahler) et ses préoccupations (le créateur face à la mort, la recherche de la perfection), ce qui contribue à faire de cette adaptation un film paradoxalement très personnel, d’où ressortent deux thèmes majeurs universels, la beauté et la mort, et dans lequel Visconti va à l’encontre des attentes, inversant souvent les valeurs.

La beauté est au centre du film. Elle est personnifiée par le personnage de Tadzio, qui réveille un sentiment inconnu de désir chez le vieil artiste en quête d’idéal, de perfection. L’idéal qu’il a vécu, les meilleurs moments de sa vie, sont des instants de bonheur familial avec sa femme et sa fille. La mort de cette dernière, créant soudain un vide affectif, l’a probablement plongé dans la crise de création qui l’a, indirectement, mené jusqu’à Venise. Venise où il retrouve cette notion de bonheur familial, matérialisée par la douceur de vivre de la famille polonaise sur la plage du Lido. Et c’est le jeune Tadzio qui, au-delà du désir et de la réflexion qu’il inspire sur la beauté et la perfection, va combler le vide affectif du vieil Aschenbach.

Ce désir devient une obsession qui consume le cœur d’Aschenbach et que symbolisent les feux brûlant -par mesure d’hygiène- dans les rues de Venise. A travers les regards (qui  » donnent à voir la circulation du désir « *), le silence, la lenteur étouffante des scènes et la musique mélancolique de Mahler, qui semble avoir été écrite pour le film (géniale idée de la part de Visconti que d’avoir fait de l’Aschenbach-écrivain de Thomas Mann un avatar de Gustav Mahler !), le cinéaste suggère à merveille la montée de cette obsession et de l’angoisse qui se réveille chez ce vieil homme.

L’angoisse d’Aschenbach, c’est l’impureté de ses sentiments (limitée par l’élévation de l’esprit que représente pour lui l’admiration de la « beauté grecque »), c’est son impuissance, son incapacité de créer face à la beauté même, c’est le temps qui passe, c’est la mort.

Deux personnages fantasques maquillés, placés sous le signe de l’apparence, dénoncent le caractère impur et malsain des pensées d’Aschenbach. D’abord lors de l’arrivée en bateau à Venise, où un vieux fou guindé, sorte de dandy décadent et aliéné, se met à lui rire au nez et annonce sa déchéance. Ensuite sur la terrasse de l’hôtel, où un musicien vient chanter avec son groupe des chansons grivoises et grotesques en riant à pleines dents (qu’il n’a pas toutes…) et assurer avec hypocrisie qu’aucune épidémie ne menace Venise.

Venise est d’ailleurs présentée d’une manière étonnamment terne dans le film. Encore une fois Visconti prend le spectateur à rebours. C’est une Venise grise, brumeuse, moite et étouffante qui nous est révélée. Loin des clichés, à des lieues de la Venise romantique de cartes postales, Visconti et son directeur de la photographie Pasquale de Santis filment avec force une Venise en proie au choléra. Et c’est paradoxalement la laideur même de Venise telle qu’on nous la montre qui contribue à donner toute sa beauté au film.

La mort, à travers cette menace de choléra qui plane sur la ville, est donc omniprésente. Contenue dans le titre, elle est attendue et ne constitue ainsi pas une surprise. Tout l’intérêt du film réside donc dans la lente agonie de cet artiste qui, à l’instar de Venise en proie au choléra, est en proie à ses angoisses. Le désir de Tadzio s’accompagne logiquement d’un désir de jeunesse : Aschenbach est trop vieux et impur pour prétendre aimer dans son état un jeune et beau garçon. Aussi au cœur de ses angoisses se trouve celle du temps qui passe, symbolisé par l’appareil photographique présent sur la plage jusqu’à son dernier souffle et par le sablier dont il parle lors des flash-back où il converse sur l’Art avec son ami. L’appareil photographique garde une trace présente du passé. Le sablier est le symbole par excellence du temps qui passe, lentement mais sûrement, et sans qu’on ne le voie passer. Aschenbach le sait, qui le dit en effet : on ne sent pas la progression du sablier, ça n’est qu’à la fin qu’on se rend compte qu’il s’est vidé. De même on ne distingue pas la progression d’Aschenbach vers la mort. Il n’y a pas d’étapes. Elle se fait lentement, insensiblement, jusqu’à ce que la mort paraisse inévitable : le sablier s’est vidé.

Adaptations & autour de Mort à Venise

La Mort à Venise (en allemand Der Tod in Venedig) est le titre d’une nouvelle que Thomas Mann publia en 1912.

Voir aussi

Nous terminons ici une promenade, que, nous l’espérons, vous n’aurez pas trouvée trop longue, autour du thème de « La Mort », à Venise. Si vous êtes tristes que ce sujet soit déjà terminé, rassurez-vous, nous ne l’avons pas encore épuisé !

Celles et ceux qui ont accompagné Klod lors de visites du cimetière de San Michele savent combien il a de choses à y raconter, et le monde qu’il y connaît ! Nous arons donc l’occasion, de temps à autres de revenir nous promener dans les allées de l’île cimetière à la rencontre de quelques un-e-s de ses résidents ami-e-s de Klod.

Pour mémoire, voici nos articles sur ce thème :

Vous pouvez également aller voir les photos de Klod dans son album sur le Cimetière San Michele de Venise



2 Commentaires (+ vous participez ?)

  1. Walter Marie-Delphine
    Mai 03, 2011 @ 09:20:26

    Tous ces sujets-là ne sont pas bien gais, mais si bien documentés… merci ! La musique de Mahler reste un chef-d’œuvre (empoisonné, qui nous détruit le moral chaque fois qu’on l’écoute, mais qu’on admire toutefois sans réserve)

  2. Rétrolien: L’hôtel Excelsior du Lido de Venise en feu | Olia i Klod

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