Léonard, le coiffeur…

Ce soir, il y a bal à l’Opéra. Les badauds parisiens attendent de pied ferme l’arrivée du beau monde. Chacun s’apprête à détailler les riches toilettes, quand soudain un cri s’élève : « La Reine » ! Marie Antoinette s’avance, souveraine. Sa coiffure, une incroyable pyramide monumentale « en hérisson », éclipse sa robe pourtant splendide. Ce pur chef d’œuvre est signé Léonard.

Et soudain, c’est la gloire. Monsieur Antier, Léonard pour ces dames devient le coiffeur en vogue. Celui que toutes se disputent. Mais d’abord, bien sûr, il y a Marie Antoinette. La reine de France doit faire face à un cruel dilemme au lendemain du bal historique. Elle ne pourra plus se passer désormais de cet artiste qui possède si bien la science de l’effet. Elle l’a bien vu la veille. Jamais, jusqu’à présent, aucune de ses apparitions, pourtant spectaculaires, n’a déclenché autant d’admiration. Ce petit Léonard a du génie, il le lui faut absolument. Oui mais le fidèle Lanseneur qui la coiffe d’habitude? Elle hésite longuement. Comment ménager à la fois l’amour-propre de ce dernier, et satisfaire son propre caprice? Et elle trouve un stratagème. Lanseneur officiera chaque matin, comme à l’accoutumée puis, elle défera sa coiffure… et Léonard pourra intervenir à son tour.

Léonard n’en revient pas. Il est époustouflé de la rapidité avec laquelle il est devenu un coiffeur à la mode. Pour un peu cela lui monterait à la cervelle. Mais l’homme de l’art sait garder les idées claires. Bien sûr, il en profite pour augmenter ses prix, qui passent illico à vingt quatre louis par séance. Mais pour le reste, une seule chose l’intéresse par dessus tout : créer, innover, impressionner. Grâce à la chevelure, cette matière souple et mouvante qui l’inspire, il veut entrer dans l’Histoire, et il y entrera. Pour l’instant, la frénésie créative l’habite. Il prend un pari : adapter ses idées aux événements selon l’air du temps et l’humeur. Ses coiffures sont tantôt « politiques », tantôt « anecdotiques ».

Après le fameux « Hérisson », où les cheveux sont relevés, crêpés et frisés à la pointe, suivent le « Ques-à-co », le « Pouf au sentiment », la « Corne d’abondance ».

A partir du 4 juillet 1776, la Déclaration d’Indépendance de la toute jeune Amérique provoque une pluie de « Philadelphie » et de « Boston ».

Mais la mode a son tribut : « toujours plus ». Ces dames, la reine la première, veulent toujours être les plus remarquables, les plus remarquées. Les pyramides deviennent de plus en plus complexes, de plus en plus hautes, de plus en plus vertigineuses. Elles s’ornent de fruits, de fleurs, de plumes. Léonard et ses assistants doivent maintenir les cheveux sur des tiges de métal pour éviter leur chute. Ces excès représentent une gêne certaine dans la vie quotidienne. Les élégantes sont parfois obligées de voyager à genoux dans leur voiture pour y contenir leur coiffure.

Au théâtre, des têtes hautes d’un mètre deviennent le cauchemar des spectateurs. Parfois des incendies éclatent dans les soirées dansantes : une coiffure a touché le lustre… Les caricaturistes en font leurs choux gras, mais qu’importe… l’essentiel est dans l’outrance, une tendance tenace. Et puis les noms de ses véritables œuvres d’art sont si mignons : « Papillon », « Frégate », « Grandes Prétentions », « Noble Simplicité », « Amitié », « Fiancée », « Capricieuse ». A partir de 1778, quand commencent les années Trianon de Marie Antoinette, Léonard lui invente les coiffures qui évoquent sa soif de vie champêtre comme « Bergère » ou « Jardinière ».

Plus tard, lorsque la reine perd ses cheveux (qui, heureusement, repoussent) Léonard lance la tête à « L’Enfant », cheveux courts et bouclés.

« Il survint chez Marie-Antoinette une alopécie dont les chroniqueurs n’ont pas manqué de faire mention : « Depuis la couche de la Reine, écrit Bachaumont en juin 1780, les cheveux de Sa Majesté tombent et l’art est continuellement occupé à réparer les vides qui se forment sur sa tête auguste. Cette princesse, lasse de contrarier la nature, semble vouloir s’y abandonner entièrement. Elle n’a plus qu’un chignon plat, terminé par une boucle en boudin, à peu près comme les perruques d’abbé, et déjà différentes femmes de la cour, empressées de se conformer aux goûts de leur souveraine, ont sacrifié leur superbe chevelure. On appelle cette coiffure « à l’enfant« . (« Mœurs intimes du passé », d’Augustin Cabanès, 1933)

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  1. Rétrolien: Léonard Antié « Olia i Klod

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